Construire « l’espoir avec des rêves et des désirs » à Raimbeaucourt

Saison : 2022/2023 - Artistes : Camille Gallard & Neebiic - Établissements : Centre Hélène Borel

Vendredi 24 mars 2023, Neebiic et Camille Gallard ont investi le centre Hélène Borel à Raimbeaucourt pour une journée d’impromptus artistiques. Les résidents du lieu ont assisté heureux et heureuses aux déambulations musicales de Neebiic, et au ciné-concert On a roulé sur la lune, avec le film documentaire de Camille Gallard, mis en musique par Neebiic.

« Aujourd’hui, ça va être une grosse journée ! », lance Mathieu, le référent culture de l’établissement. Assisté de Mehdi, bénévole et résident du foyer situé à Arleux, Mathieu accompagne les artistes le temps de leur journée d’intervention. La matinée est déjà bien entamée, et Neebiic (Ludivine Vandenbroucke et Adrien Fontaine) sont en train d’installer leur attirail pour le ciné-concert : claviers, fils électriques, pédales. Dans le coin à droite de l’entrée, l’écran est prêt à recevoir les images du film de Camille Gallard. Ce sera pour cet après-midi. Pour le moment, place à une déambulation musicale dans plusieurs services du centre.

Il est bientôt 11h00. Ludivine et Adrien enfilent les bretelles de leur accordéon. La bruine a cessé. Les artistes en profitent pour quitter la salle polyvalente : direction l’accueil de jour à quelques pas de là. On passe un pont au-dessus d’une petite rivière. Les arbres bourgeonnent très timidement encore en cette fin d’hiver, mais les quelques rayons de soleil qui passent à travers les nuées dessinent l’esquisse printanière du lieu.

Déambulations

Dans les couloirs de l’accueil de jour, l’ambiance est calme. Une partie des résidents sont en atelier de cuisine dans un autre bâtiment. Cinq personnes rejoignent les artistes. On s’assoit autour d’une table. Neebiic prend place également. Le temps d’un interlude, Camille entame la lecture d’un de ces textes sur le cinéma : «[…] Je préfère de loin le cinéma qui se présente devant nous avec l’honnêteté de fabriquer des images […] ». Le public écoute attentif. La lecture donne des envies à Francky, résident du lieu, « compositeur, interprète, slameur à plein temps ». Il sort de son sac à dos un carnet où il écrit ses textes. D’une voix assurée, il succède à Camille pour une seconde lecture : « Il est 10h20 et je viens de me lever. Soudain, je me mets à rêver […] ». La petite audience applaudit les deux lecteur et lectrice. Neebiic entame un dernier morceau avant de rejoindre l’aile d’un autre bâtiment… l’allée des coquelicots.

Dans cette allée, les résidentes sont alitées. Leur handicap les empêche de se mouvoir. À l’entrée de la chambre de Marianne, on peut lire sur la porte « Tok Tok Tok Rock ». On « toque », le visage de Marianne s’illumine d’un sourire. Elle arrête sa partie de solitaire pour profiter pleinement du cadeau que Neebiic est en train de lui offrir : la chanson Que je t’aime de Johnny Hallyday, revisitée à l’accordéon. Marianne chantonne en balançant la tête. Marianne est une grande fan de Johnny. Sa chambre est décorée de plusieurs posters et figurines du chanteur. Après le passage des musiciens, elle raconte qu’elle l’a vu trois fois en concerts : à Cambrai, à Lille, et à Paris !

« Rouler sur la lune »

Après le déjeuner, Mathieu ferme les rideaux pour la projection. Il est bientôt 14h00, et les résidents viennent de prendre place dans la salle polyvalente, face à l’écran. Ludivine et Adrien s’installent derrières leurs claviers.

« Bonjour à tous ou rebonjour. Je suis Camille Gallard, la réalisatrice du film que l’on va voir après. Et je suis accompagnée de Neebiic, les musiciens Ludivine Vandenbroucke et Adrien Fontaine. Je vais vous lire un petit texte pour ouvrir le bal de mes films. » L’audience est calme et attentive. « J’ai réalisé ce film lors d’une résidence à l’IEM St Exupéry à Amiens en 2019. […] Ma caméra me permet d’être en apesanteur le temps d’un tournage. Le film ne m’appartient plus, il est à vous,          et il est vivant avec les musiciens aujourd’hui. »

La musique commence. Silence dans la salle. Les yeux sont rivés vers l’écran. Les 18 spectateurs et spectatrices réagissent à plusieurs reprises, notamment quand    le jeune Dylan, 14 ans, déclame à la caméra tout l’amour qu’il ressent pour son amoureuse.

« C’était bien réalisé, les enfants sont vraiment émouvants. C’était bien fait. », réagit une résidente à la fin du film. « Moi, cela me rappelle quand j’étais jeune avec mon copain de l’époque. Mon père aller me conduire chez lui. Nous vivions la même chose que ces enfants », raconte une autre visiblement émue. Les échanges se poursuivent pendant un bon moment après le film. Pari réussi !

Interviews croisées 

Neebiic / Camille Gallard

Quels sont vos ressentis juste après la performance ?

Ludivine : J’ai trouvé ça assez émouvant. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas joué le ciné-concert donc c’était déjà un plaisir de le refaire ! Et puis, d’entendre les réactions des gens attendris : c’était mignon. Et puis, nous on a bien joué avec Adrien donc on est content de la performance !

Camille : Moi aussi, je suis émue d’avoir ces retours positifs, de voir que le film touche des personnes en dehors de l’endroit où j’ai filmé. Il y a des gens qui se sont identifiés aux personnes du film.

Ludivine : Et cela a suscité une réflexion sur l’enfance !

Camille : Oui, et aussi sur la nécessité de montrer des personnes en situation de handicap. Cela leur a fait du bien et ça m’a particulièrement touché car c’est le but de mon travail

Neebiic, c’est la première fois que vous intervenez en milieu hospitalier. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la démarche et qu’êtes-vous venus chercher ?

Ludivine : C’est parti de ce film justement [On a roulé sur la lune, 2020, de Camille Gaillard]. La forme ciné-concert était le point départ pour Plaines Santé. Ensuite, on a travaillé et on a développé ce moment acoustique et déambulatoire que l’on a proposé ce matin. On s’est dit que ce serait opportun de jouer dans les chambres des résidents qui ne peuvent pas bouger.

Adrien : Je ne sais pas trop ce que l’on vient chercher. C’est ma première expérience en milieu hospitalier, alors j’arrive sans apriori, et sans savoir vraiment si ce que l’on montre est pertinent. On se fait tout petit. On vient avec des propositions projetées, toute faites, et très vite, on sent qu’il faut les mettre au niveau des énergies de chacun chacune. C’est donc aussi artistiquement intéressant au-delà du fait que c’est une expérience très touchante. Et il y a cette interrogation permanente : est-ce que c’est pertinent ? On va vers des gens qui n’ont pas forcément demandé quelque chose.

Ludivine : On partage tous les trois cette crainte là en fait ! C’est une occasion parfaite de tester ces rencontres mais effectivement les personnes n’ont pas vraiment demandé à ce que l’on soit là. On impose quelque chose mais on essaye de le faire en faisant attention aux énergies, aux envies des gens.

Camille : On arrive et eux n’ont pas choisi. Je me demande toujours : est-ce qu’on a notre place ? C’est peut-être pour cela qu’on attache autant d’importance aux retours. S’ils sont bons, cela nous permet de nous rassurer et de nous dire : ah si, on a bien fait notre travail !

Justement, comment avez-vous travaillé pour préparer ces impromptus ? Est-ce que vous réadaptez vos propositions au fur et à mesure ?

Ludivine : Aujourd’hui, c’était un peu la découverte. C’était la première fois que l’on jouait notre proposition déambulatoire par exemple. On a essayé des choses. Vivement les prochaines ! Cela donne envie de revenir pour tenter d’autres trucs et revoir les gens qu’on a rencontré.

Adrien : On se demandait vraiment comment les gens allaient accueillir cela. Et en fait, il s’est passé de très beaux moments !

Ludivine : Oui, j’ai beaucoup aimé par exemple le moment dans la chambre de Marianne quand on a joué Johnny !

Camille : Cela me fait penser à la question de vos masques [Le duo Neebiic est normalement masqué sur scène avec des visages de singes] : est-ce qu’on les met ? est-ce qu’on ne les met pas ? Est-ce que ça fait peur ? Et là en fait on a eu des supers retours sur vos masques donc on s’est dit : ah bah si en fait il faut les mettre !

Camille, toi ce n’est pas la 1ère fois que tu interviens en milieu hospitalier. Qu’est-ce que tu aimes dans cette démarche ?

Camille : Ce n’est pas la première fois, mais ici c’est différent. Avec Plaines Santé, c’est une forme diffusion. D’habitude, je créé avec les résidents. Je travaille avec eux et ils se reconnaissent dans les films. Là je viens avec un film que j’ai fait ailleurs et que je montre donc c’est une autre démarche. Je suis toujours très contente de ramener ici de la diffusion et de la culture, mais ce n’est pas sans questionnement et sans peur.

 
 
 

Mehdi

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Mehdi, résident à Arleux, bénévole à Raimbeaucourt. J’ai 36 ans

Comment es-tu devenu bénévole pour le centre Hélène Borel ?

J’étais à l’accueil de jour où il nous est proposé un certain nombre d’activité qui m’ont permis de m’ouvrir. Maintenant, j’ai envie de faire autre chose. J’ai toujours été ouvert aux autres, mais je n’étais pas ouvert au monde extérieur. Quand j’ai commencé à prendre le bus par exemple, je flippais beaucoup. T’es tout seul dans le bus, si le chauffeur ne s’arrête pas, tu te retrouves loin et c’est un problème. Mais aujourd’hui, je n’ai plus peur et j’ai eu envie de bouger, d’être actif.

Pour ta mission de bénévole, tu es amené à te déplacer, notamment pour aller de ton lieu de vie à Arleux, jusqu’au centre de Raimbeaucourt (25km) Quelles difficultés rencontres-tu ?

Pour venir à Raimbeaucourt, il me faut prendre 2 bus. Il faut que je parte à 7h51 d’Arleux et j’arrive à 9h37 à Raimbeaucourt. La difficulté c’est qu’il faut prévenir la société de bus avant de partir sinon les chauffeurs parfois refusent de nous prendre. Mais les choses s’améliorent : les bus sont désormais gratuits et adaptés ! Si je veux aller plus vite, je dois faire appel à un taxi privé, cela coute 60 euros la journée.  Faciliter la mobilité des personnes en situation de handicap reste un chantier. Tout est plus cher pour nous. Mais moi j’ai la bougeotte dans le sang, alors je prends les transports et je m’assure qu’on respecte mes droits !

Quelles sont tes missions en tant que bénévole ?

S’il y a un évènement, Mathieu m’appelle. Si je suis disponible, je viens. Mais il se peut que je ne sois pas disponible, car j’ai aussi des séances de rééducation à l’extérieur. Si je suis disponible, j’aide à la logistique comme par exemple recouvrir les fenêtres de papier pour créer une salle de projection pour les films de Camille ! C’est ce qui m’attend dimanche à Arleux par exemple.

Qu’as-tu pensé du film de Camille ?

J’ai pensé que le film était pas mal. Il dit les choses réelles. Même si ce sont des enfants qui le disent, ils racontent ce que l’on vit. On ne serait pas handicapé aujourd’hui, on serait plus visible.

Dans le film, on parle du regard des autres sur les personnes en situation de handicap. Est-ce que cette question du regard t’a fait écho ?

Le regard des autres, je m’en fou ! On m’accepte comme je suis. Si on ne m’accepte pas, les personnes dégagent.

Les artistes confiaient qu’ils avaient peur de s’imposer, de proposer des activités artistiques que vous n’avez pas demandé. En tant que résident et ancien usager de l’accueil de jour, que penses-tu des activités proposées ?

J’ai arrêté l’accueil de jour car je n’y trouvais plus mon compte. On faisait beaucoup d’activités et ce n’était plus ce que j’avais besoin. Mais c’est personnel. On ne peut pas dire que l’accueil de jour est une mauvaise chose. Les personnes qui viennent n’ont souvent rien d’autre à faire. S’ils n’ont pas cette chance, ils restent chez eux, parfois seuls, à ne rien faire. C’est très important que la culture vienne à eux. Heureusement, que j’ai trouvé le centre Hélène Borel à un moment dans ma vie car cela m’a permis de m’ouvrir. J’étais plus renfermé avant ; et cela m’a permis de prendre mon indépendance. Aujourd’hui, je n’ai plus peur de bouger d’une ville à l’autre. Mais certaines personnes, en raison de leur handicap, ne peuvent pas se déplacer. Et c’est triste : toute personne doit pouvoir se déplacer ! Bouger, c’est s’octroyer un moment d’évasion.